La ferme aquatique, le défi de l'agriculture sous-marine Lecture : 7 min
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La ferme aquatique, le défi de l'agriculture sous-marine

Dans la baie de Noli, située sur la riviera italienne, des plongeurs descendent à 6 mètres sous l’eau rejoindre des serres immergées pour observer non pas des poissons, mais des herbes aromatiques, des fruits et des légumes. Les biosphères de Nemo’s Garden abritent des potagers sous-marins où poussent du basilic, des salades, mais aussi des fraises et des fleurs. D’abord jugée loufoque, cette ferme aquatique intéresse aujourd’hui des experts aux quatre coins du globe. L’agriculture sous-marine pourrait-elle représenter une alternative dans les régions où les terres et l’eau douce manquent aux cultures ? Serait-ce une solution d’avenir face aux défis du changement climatique ?

La ferme aquatique Nemo’s Garden : une idée farfelue à mi-chemin entre deux passions

En 2012, lors de ses vacances en bord de mer sur la côte Nord-Ouest italienne, Sergio Gamberini, président de la société Ocean Reef Group s’adonne à sa passion de la plongée sous-marine et discute de jardinage avec ses amis entre deux sessions sous l’eau. C’est en regardant la mer que cette idée pour le moins originale lui est venue.

« Serait-il possible de créer les conditions de croissance idéales pour le basilic, l’herbe locale la plus populaire et un ingrédient essentiel du pesto ? »

Bien qu’inhabituelle, la démarche n’est pas dénuée de sens au regard des conditions nécessaires à la pousse et notamment le fait que « le basilic préfère les endroits protégés et ensoleillés avec des sols bien drainés et une température constante et stable ».

Bien que personne ne prenne au sérieux ses hypothèses il y a dix ans, Sergio Gamberini n’abandonne pas. En entrepreneur innovant, il se lance avec l’appui de son équipe d’Ocean Reef Group dans l’expérimentation de la première serre sous-marine à l’été 2012. La structure est alors trop petite pour accueillir un « agronaute », mais la récolte de basilic vert est un succès.

Après ce test grandeur nature, l’aventure de la ferme aquatique Nemo’s Garden peut continuer. Sergio Gamberini est d’ailleurs convaincu que ce système est une solution parfaitement adaptée aux zones où l’agriculture est entravée par l’aridité, les tempêtes tropicales et autres aléas climatiques.

 

Un dispositif écologique et autonome d’agriculture sous-marine

Les biosphères sont installées à environ 50 mètres de la côte, à une profondeur située entre 6 et 10 mètres sous l’eau. Les coupoles en polyéthylène transparent remplies d’air sont maintenues en place par un ancrage fait de chaînes. La ferme aquatique Nemo’s Garden produit des herbes aromatiques, mais aussi des fruits et des légumes 100 % biologiques de manière totalement écologique et autonome.

Gestion de la luminosité

Le dispositif est basé sur le principe de la culture hydroponique avec un substrat inerte. Les plants placés sous les cloches étanches bénéficient de la lumière du soleil qui passe à travers l’eau et la biosphère en quantité suffisante pour permettre leur croissance.

Système d’arrosage

Les variations de température entre le jour et la nuit, entre l’intérieur et l’extérieur de la biosphère, engendrent un phénomène d’évaporation et de condensation de l’eau de mer sur les parois internes du dôme. L’eau douce qui se forme de cette manière est alors collectée pour être réintégrée dans le circuit d’irrigation, rendant la ferme aquatique Nemo’s Garden parfaitement autosuffisante.

Renouvellement de l’air

L’air est naturellement renouvelé par les plantes. Toutefois les jardiniers plongeurs sont équipés pour entrer dans les serres sous-marines, car la quantité d’oxygène y est limitée et la quantité de CO2 trop élevée. La pression à l’intérieur des dômes serait toutefois un facteur stimulant une croissance plus rapide de certaines variétés.

Surveillance continue

Grâce à une série de capteurs, toutes les données sont collectées en temps réel et retranscrites en open source. CO2, oxygène, humidité, température, éclairage, tous les facteurs sont enregistrés, faisant de Nemo’s Garden un véritable laboratoire de recherche sous-marine qui fonctionne grâce à des panneaux solaires et des éoliennes.

Sans effets négatifs sur l’écosystème marin environnant

C’est même tout l’inverse, avec des espèces comme les poulpes, les hippocampes ou les étoiles de mer qui viennent y trouver un abri.

« D’année en année, nous assistons à un repeuplement de la zone marine environnante », souligne Gianni Fontanesi.

Les cultures étant hors d’atteinte des nuisibles, elles n’ont pas non plus recours aux pesticides.

 

Le Nemo’s Garden est devenu un véritable laboratoire sous-marin pour la recherche botanique

Depuis 2012, le potager sous-marin implanté au large de la Ligurie s'est bien développé et agrandi.

En 2013, la ferme aquatique Nemo’s Garden s’équipe de 2 biosphères de 800 litres, permettant aux plongeurs de suivre la croissance du basilic depuis l’intérieur. Cette même année, une analyse est réalisée par l’institut de recherche privé CERSAA. Avec un goût identique aux cultures terrestres, les feuilles de basilic sous-marin ont un taux supérieur d’huiles essentielles.

En 2014, une nouvelle serre de 2000 litres permet le développement de la culture de salades. Et en 2015, Nemo’s Garden comptabilise 4 dômes de 800 litres, 2 biosphères de 2000 litres et 2 mini serres de 50 litres. L’entreprise italienne étend ses cultures à de nouvelles variétés : du basilic rouge et d’autres herbes aromatiques comme la menthe, le thym, l’origan, différents types de salades, des tomates, des courgettes, des haricots, des pois, des champignons, mais aussi des fleurs et même de l’aloe vera. C’est également l’année où le projet participe à l’exposition universelle de Milan.

En 2016 le jardin aquatique continue sur sa lancée et ambitionne d’élargir les cultures de plantes à destination des secteurs cosmétiques et pharmaceutiques. Les serres constituent en effet des laboratoires sous-marins qui intéressent de plus en plus de domaines variés.

En 2017, la ferme aquatique Nemo’s Garden poursuit sa croissance et engage des recherches toujours plus poussées pour optimiser la production d’eau douce et le rendement des cultures. En 2018 le projet fait face à une tempête de grande ampleur. Les pertes occasionnées sont importantes, mais poussent à renforcer l’ensemble du procédé. 2019 est alors l’année de la reconstruction. Nemo’s Garden établit par ailleurs des collaborations avec les universités de Pise et de Gêne pour étudier les plantes les plus adaptées aux cultures sous-marines, mais aussi le phénomène de production d’eau douce à l’intérieur des biosphères.

En 2020, la pandémie a freiné les allées et venues des plongeurs, mais le projet a depuis repris son cours avec de nouvelles perspectives : culture d’algues, pisciculture durable, écotourisme…

Potager sous-marin : le maraîchage aquatique comme solution d’avenir pour l’agriculture ?

Les océans recouvrent déjà 70 % de la surface de la Terre. Et les changements climatiques en cours et à venir entraînent inévitablement une élévation du niveau de la mer. Dans le même temps, le secteur agricole utilise 70 % de l’eau douce dans le monde. À cette pression sur les ressources souterraines s’ajoute la consommation des industries et des zones urbaines.

C’est précisément pour répondre à ces problématiques que selon Luca Gamberini, membre du projet Nemo’s Garden, « nous pouvons considérer nos océans comme une ressource à protéger de manière durable et que nous pouvons explorer comme alternative à l’agriculture traditionnelle ». Les potagers sous-marins représentent également des solutions intéressantes pour les îles reculées.

La culture sous-marine serait alors une solution agricole alternative qui ne craint pas la sécheresse, les inondations, les incendies ou les nuisibles, même s’il reste une part de risques imprévisibles.