Interview : François Gemenne, un expert du climat, commente les récentes découvertes sur les bénéfices que YouTube retire des contenus climatosceptiques.
En évoquant les travaux récents du Centre for Countering Digital Hate (Centre de lutte contre la haine en ligne), François Gemenne révèle une réalité inquiétante : la plateforme de vidéos en ligne YouTube engrange pas moins de 13 millions de dollars annuellement grâce à l'hébergement de contenus remettant en question la réalité du changement climatique.
Le rapport démontre une évolution spectaculaire des arguments climatosceptiques au cours des dernières années. Auparavant, la majorité de ces vidéos contestait l'existence même du changement climatique ou le rôle de l'homme dans ce phénomène. Aujourd'hui, ces points de vue ne représentent plus qu'une portion des arguments, cédant la place à des interrogations sur la fiabilité de la science climatique, les prétendus 'bénéfices' du changement climatique, ainsi qu'à des doutes quant à l'efficacité des solutions proposées.
"Doit-on considérer le scepticisme envers les solutions comme étant de même nature que le déni de la problématique climatique dans son ensemble ?" interroge François Gemenne.
Il convient de se montrer critique concernant les solutions proposées, sans toutefois basculer dans un scepticisme qui serait contre-productif. L'expert s'alarme de la popularité grandissante, en France également, de vidéos propageant des idées défaitistes sur l'inefficacité des Conférences des Parties (COP), du néfaste Green Deal pour l'Europe, ou la nécessité de renverser le capitalisme préalablement à toute décarbonation de l'économie.
"16 % des Français pensent qu'il est trop tard pour agir contre le changement climatique, un sentiment qui mène à l'inaction et à l'éco-anxiété." – François Gemenne
Les vidéos en question ne sont bien sûr pas les uniques sources de pessimisme climatique, mais elles jouent un rôle non négligeable dans le façonnement de cette vision négative. Selon Gemenne, la communication actuelle autour du climat est souvent déprimante et controversée, omettant de mettre en avant les bénéfices d'une action efficace contre le réchauffement planétaire.
Pourquoi cette tendance aux messages négatifs ? Gemenne pointe du doigt les modèles économiques des plateformes en ligne. Ces dernières, notamment YouTube, favorisent les contenus qui génèrent de l'engagement, souvent polarisants et négatifs, car ils entraînent davantage de réactions et donc de revenu potentiel.
"Les contenus générant le plus de colère ou de désarroi sont ceux qui invitent à l'engagement sur les réseaux, d'où des bénéfices accrus pour ces plateformes." - François Gemenne
Il questionne également la nature des actions motivées par ces contenus : 'liker' une publication indignée peut donner l'illusion d'un engagement pour la cause climatique, mais cela ne contribue pas réellement à une quelconque avancée concrète en matière d'action contre le changement climatique. En fin de compte, une meilleure stratégie de communication basée sur la science climatique serait nécessaire pour encourager l'action positive. Cependant, Gemenne remarque que les investissements en communication sur le climat sont dérisoires comparés à ceux alloués à la publicité pour de nouveaux produits de consommation courante.