Sur le terrain, une promesse qui fait pschitt
Pour comprendre les réelles performances de cette IA, un journaliste s’est glissé incognito dans une maison France Services. Caméra discrètement allumée, il découvre rapidement une réalité très éloignée du discours officiel. Dès son arrivée, Nathalie, employée expérimentée, fait part de son exaspération : « Albert devient de pire en pire », lâche-t-elle, après avoir reçu une réponse à côté de la plaque. Elle et ses collègues, initialement enthousiastes, déchantent : « Plus ça va, plus les réponses sont mauvaises. »
Dans ces centres où les citoyens affluent chaque jour pour des questions essentielles sur leur retraite, leurs impôts ou leurs démarches d’identité, les agents sont sur le front. Et ils attendent des outils fiables pour les épauler. Albert, lui, semble souvent à côté de la réalité.
Des réponses souvent erronées… et parfois absurdes
Un exemple parlant : lorsqu’on demande à Albert si le renouvellement d’une carte d’identité perdue est payant, il affirme que c’est gratuit. Or, il en coûte en réalité 25 euros. Une erreur difficile à pardonner, surtout sur une question aussi basique. « C’est aberrant qu’il ne sache pas ça », s’agace Nathalie. Et sur 100 questions posées à l’IA ? À peine 10 % de bonnes réponses, selon elle.
Sa collègue, tout aussi déçue, avoue s’être fait de fausses idées en imaginant un "ChatGPT du service public" : un assistant numérique efficace, réactif et sûr. Mais le résultat est loin des attentes.
Albert : un projet encore en phase d’apprentissage ?
Interrogée par Élise Lucet, Clara Chappaz, ministre déléguée à l’Intelligence artificielle, rappelle qu’Albert est encore en phase d’expérimentation. Il s’agit d’un outil en développement, qui doit encore apprendre et s’améliorer. Une phase de rodage nécessaire, certes, mais qui soulève une question centrale : peut-on se permettre autant d’erreurs quand il s’agit de l’accès aux droits des citoyens ?
Dans un contexte où l’automatisation des services publics suscite autant d’espoirs que de craintes, Albert incarne à lui seul les défis posés par l’IA dans la sphère publique. Faut-il miser sur des outils pas encore prêts, ou prendre le temps de les rendre réellement fiables avant de les déployer ?
Faut-il craindre une déshumanisation des services publics ?
Au-delà des limites techniques d’Albert, une question plus large se pose : quelle place souhaitons-nous accorder à l’intelligence artificielle dans les services publics ? Si l’ambition est de faciliter le quotidien des agents et d’améliorer l’accès aux droits pour tous, encore faut-il que ces outils soient réellement pensés pour les réalités du terrain. En l’état, Albert semble davantage ajouter de la confusion que de l’efficacité.
Ce témoignage de terrain met en lumière un enjeu fondamental : toute technologie, aussi innovante soit-elle, doit être conçue en lien étroit avec celles et ceux qui l’utiliseront. Sans cette adaptation fine aux usages concrets, le risque est grand de voir les bonnes intentions se heurter à la complexité administrative qu’elles prétendaient justement alléger.
"Cash Investigation". L’intelligence artificielle a-t-elle pris le contrôle sur notre quotidien ?