Rapport Greenpeace : lobbies de la viande et manipulation Lecture : 8 min
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Rapport Greenpeace : lobbies de la viande et manipulation

Pour préserver l’environnement et la biodiversité, mais aussi pour des questions de santé, de plus en plus de consommateurs questionnent leur alimentation. Tendre vers plus de végétal, acheter moins de viande, mais de meilleure qualité, en provenance d’élevages locaux et écologiques fait craindre aux industriels une baisse de leur production. Pour y remédier, ces derniers usent alors de grands moyens : stratégies marketing et réseaux sociaux, techniques d’influence sous couvert de pédagogie dans les écoles, mais aussi science-washing… Greenpeace France a enquêté pendant 1 an et livre un rapport édifiant titré « Comment les lobbies de la viande nous manipulent ». Décryptage.

Les raisons d’une telle enquête sur les lobbies de la viande

Rappelons que l’organisation internationale Greenpeace, qui œuvre pour la protection de l’environnement et de la biodiversité, dispose d’une indépendance économique et politique qui assure l’objectivité de ses travaux. Dans ce rapport, paru le 25 janvier 2022, Greenpeace ne remet pas en cause tous les modes d’élevage. L’organisation souhaite plutôt « dénoncer un système qui profite uniquement aux acteurs industriels » et qui va à l’encontre de l’état des lieux formulé par le GIEC.

L’objectif d’une telle investigation est donc de mettre en lumière les pratiques dissimulées des lobbies de la viande, afin d’éclairer les acteurs politiques, mais aussi le grand public pour « reprendre le pouvoir sur nos choix de consommation ».

Car ces influences ont des conséquences directes sur l’environnement et la santé :

  • L’intensification des élevages industriels en France et en Europe depuis les années 1980 est responsable de 19 % des émissions de gaz à effet de serre.
  • Alors que l’alimentation est un facteur reconnu dans l’apparition de certains cancers, en France 28 % de la population dépasse le seuil de consommation de viande rouge recommandé par l’OMS, et 41,5 % celui de la charcuterie, selon les données du Haut Conseil de Santé Publique (HCSP).
  • Les éleveurs peinent à vivre de leur métier, le bien-être animal est bafoué et la déforestation pour la production de soja qui nourrit les élevages détruit la biodiversité.

À l’inverse, une production et une consommation raisonnées de viande auraient de bien meilleurs impacts. Les élevages de pleins airs fertilisent naturellement les terres et augmentent la capture de carbone. Bien qu’il soit possible de s’en passer, la viande de qualité consommée en quantité raisonnable apporte des nutriments favorisant l’équilibre alimentaire. Il faudrait donc soutenir « les élevages paysans, intensifs en emplois, garants du bien-être animal et qui préservent les écosystèmes, le climat et notre santé ».

Alors que ces éléments vont dans le sens des préoccupations grandissantes des consommateurs, tout est fait pour détourner le regard face à ces vérités, afin d’inverser la baisse de consommation constatée depuis quelques années dans le secteur bovin et porcin.

L’équipe agriculture de Greenpeace France s’est alors mobilisée pendant plusieurs mois pour livrer un rapport détaillé intitulé « Comment les lobbies de la viande nous manipulent pour nous convaincre que l’élevage industriel n’existe pas et que consommer moins de viande n’est pas nécessaire ».

Qui sont les principaux lobbies de la viande ?

Grâce à un travail de fond, s’appuyant notamment sur les informations de la Haute Autorité de la Transparence pour la Vie Publique (HATVP), Greenpeace a ainsi mis en lumière 25 organisations qui œuvrent pour les intérêts des filières viandes. Toutes ces structures sont interconnectées et forment un gros réseau d’influence. Mais au regard des données croisées entre les budgets déployés et les impacts politiques, 4 d’entre elles sortent du lot :

  • Interbev, l’association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes qui soutient la production et la distribution des secteurs bovin, ovin, caprin et équin.
  • Inaporc, l’interprofession nationale porcine qui défend la filière très industrialisée du porc.
  • Anvol, l’association nationale interprofessionnelle de la volaille de chair qui est aux côtés des acteurs des filières poulet, dinde, canard, pintade, caille et pigeon.
  • FICT, la fédération des industriels charcutiers, traiteurs et transformateurs de viandes qui est au service des entreprises de charcuteries, salaisons et traiteurs.

En termes de budget lobbying et de pouvoir d’influence, c’est incontestablement Interbev qui obtient la première place de ce palmarès.

Des stratégies de communication et techniques d’influence pour tous les âges

Toucher les futurs consommateurs dès l’enfance par le biais des écoles

Interbev est l’association la plus active dans ce domaine. L’interprofession du bétail et de la viande bovine a en effet créé de véritables outils pédagogiques destinés aux écoles de la primaire jusqu’au lycée pour parler le plut tôt possible de l’élevage et de l’alimentation aux enfants.

En 2014, l’interprofession a déployé tout un univers autour de la thématique « la planète, les hommes, les bêtes ». La famille Jolipré a ainsi bénéficié d’une large diffusion : bande dessinée, cahiers d’activités, série télévisée… Mais aussi d’une parution dans la presse jeunesse avec le numéro 1 Bayard en 2017.

Sorti en 2020, le site « mon assiette, ma planète » regroupe également de nombreuses ressources pédagogiques, mais aussi des propositions d’animations en classe et de visites de fermes gratuites clés en main. Les cantines, les services d’infirmeries et de médecines scolaires ont également reçu des kits d’information prêts à l’emploi.

 

L’intention peut sembler louable, mais Greenpeace souligne que la mention publicité n’apparaît pas sur ces supports ou alors en tout petit. De plus, il s’agit d’une version enjolivée, qui dénigre les aspects négatifs de l’élevage industriel sans présenter les autres alternatives. Les enfants retiennent alors principalement qu’un repas équilibré doit forcément contenir de la viande.

Accroître le lien avec les Millenials grâce aux réseaux sociaux et aux influenceurs

Là encore, Interbev s’impose avec notamment 19 sites et 51 réseaux sociaux à son actif. L’interprofession s’est parfaitement approprié les codes de cette génération pour diffuser son message en jouant sur la séduction et la déculpabilisation face à la consommation de viande. Comme le montre l’opération « Les filles à côtelettes ».

Mais Inaporc n’est pas en reste, avec à son actif une campagne financée directement par l’Union européenne. Supposée démonter les intox sur le porc, « Let’s talk about pork » a touché pas loin de 74 millions de personnes en 2020.

Les lobbies jouent sur les tendances en adoptant des partenariats avec des influenceurs. Du côté de la FICT ce sont directement les agriculteurs qui sont formés aux réseaux sociaux pour développer le concept « agri-influenceurs ».

S’emparer des clichés et de la sémantique

Entretenir le mythe des protéines, créer un lien entre la viande et l’identité nationale ou encore un rapport entre la viande et la convivialité… Il s’agit là de jouer sur les clichés et les valeurs des Français.

 

Mais les représentants des filières animales ont également réalisé un tour de force dans ce que Greenpeace appelle une bataille sémantique. Sous couvert d’éviter les confusions chez les consommateurs , les lobbies de la viande « font tout pour empêcher les alternatives végétales d’utiliser des termes habituellement attribués à la viande et aux produits laitiers (lait de riz, steak de blé…) ».

De la même manière, le terme « flexitarien » se retrouve détourné de son sens originel pour « donner bonne conscience ou convaincre les consommateurs de viande qui s’inquiètent de leur impact ». Il ne s’agit plus alors de réduire sa consommation, mais de simplement privilégier la viande française. Peu importe les conditions d’élevage, celle-ci est forcément associée à l’idée de qualité. Ainsi Interbev a rattaché sa campagne « Aimez la viande, mangez-en mieux » à un site appelé « Naturellement Flexitariens ».

 

Influencer le corps médical et user de science-washing

« Santé : n’oubliez pas la viande ! » ou encore « Apports en micro-nutriments. Quelles conséquences des régimes sans viande ? »

Les lobbies de la viande ont également su infiltrer le corps médical en distribuant des brochures à destination des généralistes, des gynécologues, des pédiatres ou encore des diététiciens.

S’ajoute à cela une pratique similaire au greenwashing : le science-washing revient à détourner l’information scientifique au profit d’intérêts privés. Les filières de la viande sponsorisent alors des recherches là où les financements publics sont insuffisants, générant des conflits d’intérêts notables, mais ignorés.

Que demande Greenpeace face à ces manipulations ?

À la fin de son rapport « Comment les lobbies de la viande nous manipulent », Greenpeace établit des recommandations. Elles s’adressent principalement au gouvernement qui doit encadrer plus strictement ce qui se joue dans les écoles, les instituts de recherche et l’attribution des financements publics.

Mais Greenpeace invite aussi les scientifiques, les professionnels de l’éducation, les freelances, les agences de communication et de marketing à refuser les participations financières, outils pédagogiques ou contrats.

En parallèle Greenpeace a lancé une pétition « Empêchons les lobbies de la viande d’entrer dans la tête de nos enfants ! ». Elle sera clôturée fin août 2022 puis transmise aux ministères de l’Éducation, de l’Agriculture, de la Transition écologique et de la Santé.