Patagonia : son fondateur donne l'entreprise à Dame Nature Lecture : 9 min
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Patagonia : son fondateur donne l'entreprise à Dame Nature

Patagonia, célèbre entreprise spécialisée dans les vêtements de plein air, appartient désormais à la planète. Son fondateur a fait don de la société valorisée à 3 milliards de dollars à des ONG de protection de Dame Nature et de lutte contre la crise environnementale. Yvon Chouinard l’explique ainsi dans son communiqué : « la Terre est notre unique actionnaire ». Il s’agit là d’un acte de capitalisme responsable qui pourrait bien ouvrir la voie dans le monde des affaires, comme d’autres actions mises en œuvre par l’entrepreneur avant cela. Retour en détails sur cette décision peu commune et ce parcours inspirant.

Pourquoi le fondateur de Patagonia a-t-il souhaité faire don de son entreprise au profit de la cause environnementale ?

Dans sa lettre ouverte diffusée sur le site de la marque, Yvon Chouinard rappelle qu’il n’a « jamais souhaité devenir entrepreneur ». Lorsqu’il a débuté dans la fabrication de matériel d’escalade, c’était avant tout pour lui et ses amis. Cet alpiniste passionné se retrouve ensuite co-fondateur de Patagonia, devenue depuis une marque américaine reconnue d’équipements sportifs éco-responsables.

Depuis près de 50 ans, l’entrepreneur expérimente avec ses équipes cette idée d’entreprise responsable à travers la commercialisation de ses produits toujours plus performants et durables, mais aussi dans ses pratiques de management.

À 83 ans, Yvon Chouinard a décidé de songer à l’avenir de sa société, mais pas de n’importe quelle manière. Pour pérenniser la mission de l’entreprise et ainsi continuer à « utiliser le monde des affaires pour sauver la planète », de nombreuses possibilités ont été étudiées.

Il a d’abord été question de vendre Patagonia et de reverser le fruit de cette transaction à des associations de protection de l’environnement. Mais il n’y avait alors aucune garantie que les valeurs de la marque soient toujours respectées ni que les 3650 collaborateurs continuent à bénéficier des mêmes conditions de travail.

L’entrée en bourse a également été évoquée, mais là encore le risque de perdre de vue la raison d’être de l’entreprise semblait trop forte. Yvon Chouinard l’explique très simplement.

« En vérité, aucune des options existantes ne nous convenait. Nous avons donc créé la nôtre. »

 

 

Un choix durable, mais atypique pour une entreprise capitaliste

Yvon Chouinard a toujours fait figure de précurseur, d’entrepreneur idéaliste et de personnalité à part. Pourtant, depuis sa création en 1972, Patagonia a su se développer au point pour l’entreprise américaine d’être désormais valorisée à 3 milliards de dollars, avec des bénéfices annuels d’environ 100 millions de dollars. Les avocats de l’homme d’affaires ont dû faire preuve d’ingéniosité pour répondre à cette demande particulière.

En accord avec sa femme et ses deux enfants, la procédure retenue par Yvon Chouinard concernant 100 % de leurs parts dans Patagonia est la suivante :

  • les actions avec droit de vote sont transférées à une fiducie à but spécial
  • les actions sans droit de vote reviennent quant à elles à des organisations non gouvernementales (ONG) chargées d’une mission environnementale

Le travail du trust restera guidé par la famille Chouinard et le conseil d’administration s’attachera à maintenir la santé financière de l’entreprise. Ainsi, chaque année, après avoir financé la pérennité de la société, les sommes restantes seront reversées sous forme de dividendes pour lutter contre le changement climatique.

Pour résumer la vision de ce passionné d’escalade : « plutôt que d’extraire des matériaux naturels afin d’enrichir nos investisseurs, nous utiliserons la richesse créée par Patagonia pour protéger la source de toute cette richesse. »

 

 

Le parcours inspirant d’Yvon Chouinard

C’est en 1953, à l’âge de 14 ans, qu’Yvon Chouinard découvre l’escalade. Il apprend alors à descendre les falaises en rappel pour parvenir jusqu’aux aires des faucons. C’est le début d’une véritable passion, qui le mènera au succès connu aujourd’hui. Mais avant cela il y aura des rencontres, notamment avec d’autres passionnés de grimpe comme T.M. Herbert, Royal Robbins et Tom Frost, qui deviendront pour certains des collaborateurs.

En 1957, le jeune homme achète sur une brocante une vieille forge à charbon, une enclume et le reste du matériel de forgeron nécessaire à la conception de ses propres pitons pour compenser un matériel qui manque de solidité. En véritable autodidacte, il fabrique ses premières pièces à partir d’une vieille lame de moissonneuse. Après des essais concluants en conditions réelles d’ascension, le bruit se répand et c’est ainsi que sans s’en apercevoir, Yvon Chouinard se retrouve dans le monde des affaires. Malgré le lancement d’une petite boutique dans le jardin de ses parents à Burbank, il continue de vivre ses passions de la grimpe et de la glisse en emmenant son matériel en voiture pour parcourir la côte californienne.

En 1965 il s’associe avec Tom Frost et crée Chouinard Equipment. Les deux amis œuvrent ensemble à rendre les outils d’escalade plus performants et plus fonctionnels. L’entreprise est un franc succès aux États-Unis, mais les associés se rendent compte au bout de quelque temps des traces que leurs produits laissent littéralement sur l’environnement. Les pitons sont alors remplacés par une alternative en faveur d’une « grimpe propre ». Les cales en aluminium évitent ainsi les coups de marteau dans les fissures rocheuses. C’est le premier grand pas de l’entrepreneur en faveur de la protection de l’environnement.

En 1970, de retour d’Écosse, Yvon Chouinard porte un maillot de rugby acheté sur place lors de son voyage. Séduits par les configurations du vêtement qui permet une meilleure protection du cou et accentue le confort avec le matériel d’escalade, ses amis lui demandent où se procurer de tels équipements. C’est ainsi qu’il se tourne vers la commercialisation de vêtements d’alpinisme.

Une aventure humaine et une opportunité de contribuer avec Patagonia

Là encore, la famille Chouinard s’attache à innover : velours synthétique, polypropylène, superposition des couches et pédagogie du consommateur. Dès le milieu des années 80, ils utilisent du papier recyclé pour les catalogues et le recyclage des bouteilles de soda comme base du polyester des polaires Synchilla. Depuis 1996, la marque n’utilise plus que du coton biologique. Les teintures et couleurs nécessitant des substances toxiques ont aussi été arrêtées. Un programme de réparation et de vêtements de seconde main voit ensuite le jour en 2012. Et cette dynamique s’étend bien plus loin que sur les matériaux et les produits.

L’entreprise est également pour Yvon Chouinard une expérience humaine. Les collaborateurs sont d’abord des amis, puis des amis des amis. Patagonia œuvre pour le bien-être de ses salariés sur différents plans : financement de voyages, bureaux ouverts, cantine biologique, crèche d’entreprise, congé maternité étendu aux papas, etc. Il semble toujours y avoir une longueur d’avance sur les tendances chez Patagonia, à moins d’en être à l’origine… La collection Patagonia Books contient d’ailleurs différents ouvrages qui retracent cette philosophie et les confessions d’un entrepreneur pas comme les autres.

Fair Trade Certified, Patagonia Action Works, Patagonia Provisions… Les actions sociétales et environnementales du groupe sont nombreuses. La société reçoit par ailleurs la certification B corporation.

Un homme d’affaires précurseur de la cause environnementale

En parallèle de la commercialisation de produits durables et du management responsable, Patagonia investit du temps et de l’argent pour soutenir la lutte contre la crise écologique. Tout commence en 1970, lorsqu’il est question de protéger un spot de surf local d’un plan de développementAprès cette expérience aux côtés de « Friends of the Ventura Rivers », l’entreprise intègre dans ses pratiques les dons réguliers à des petits groupes de travail qui militent pour la restauration des habitats naturels. En 1986, cet engagement s’élève à 10 % des bénéfices de la société, puis rapidement ce versement passe à 1 % du chiffre d’affaires chaque année, avec ou sans bénéfices effectués.

C’est ainsi qu’Yvon Chouinard fonde en 2002 l’organisation « One Percent for the Planet » avec Craig Mathews, propriétaire des Blue Ribbon Flies de West Yellowstone. Les deux pionniers ont souhaité construire « un réseau capable de rassembler les entreprises philanthropes, avec un label facilement reconnaissable et au message simple ». Le mouvement est désormais mondial avec plus de 6 000 membres dans près de 91 pays.

Le philanthrope et co-fondateur affirmait à l’époque « 1 % for the Planet est la meilleure chose que j’ai faite ».

Avec le don de Patagonia à Dame Nature, Yvon Chouinard pourrait bien ouvrir la voie à d’autres actions de capitalisme vertueux.